Quelques réflexions au décours des championnats d’Europe Juniors à Hartpury.

Jean-Michel Roudier, Juge international 5*, partage avec nous ses réflexions sur les championnats d'Europe Junior qu'il a jugé en cet été 2022.

Je jugeais là mes 9èmes championnats d’Europe, juniors et jeunes cavaliers, ce sera certainement celui qui restera dans ma mémoire, grâce à Mathilde Juglaret et Caporal de Massa : une médaille française !!! Pour moi, quelle émotion !

 

Elle n’est certainement pas le fruit du hasard, mais celui d’une évolution parfaitement maîtrisée, avec un encadrement qui frise la perfection, incluant propriétaire-éleveur, entraîneurs-parents, qui ont créé cet environnement favorable, et l’évolution des résultats depuis leurs débuts le prouve.

 

On dit —et je le pense— qu’il faut une « vedette » pour créer un élan positif à la discipline, Mathilde et Caporal seront de ceux-là… De plus à l’étage « junior » ! À la base de la pyramide, quoi de mieux pour la dynamiser ! Sans une bonne base, pas de bon sommet.

 

De ma longue expérience de jugement de championnats, des juniors jusqu’aux Jeux olympiques, même si l’adrénaline est plus forte aux JO, je n’en disconviens pas, le niveau junior est à mon avis le plus difficile à juger.                                                                                             

C’est pourquoi maintenant ce sont essentiellement des juges 5* (level 4) qui le jugent : quelle évolution ! Pour mes premiers championnats en 1992, nous n’étions que trois juges et non 5, et à l’époque j’étais seulement « candidat » (3*, level 2). Et depuis cette année, nous avons un « JSP, judges supervisor panel », comme dans les grandes épreuves seniors, qui voit en direct nos notes, et, avec une vidéo, permet un débriefing très constructif, et de corriger —dans des règles très strictes et très définies— d’éventuelles erreurs de jugement (faute non vue). En effet, à ce niveau, les classements, donc les médailles, peuvent se jouer à très peu de points près.

 

Juger aux niveaux supérieurs est techniquement plus encadré, et, en plus de la qualité, il y a faute ou pas faute (de compte, par exemple) donc partiellement « plus facile ». Au niveau « junior » ­—et les reprises FFE de ce niveau anciennement B— , on doit juger essentiellement la qualité, il y a d’ailleurs une note « trot rassemblé » et « galop rassemblé ».                                         

Et là se posent des questions essentielles, qui peuvent entraîner d’importantes variations dans les résultats : de manière caricaturale, qui mettra-t-on devant ? le cheval aux allures extraordinaires, qui peut dépasser son cocher ? Ou le cavalier qui monte en harmonie, avec légèreté et équilibre un cheval aux allures modestes ? Mais un cheval modeste est aussi plus facile à monter…

Aux championnats d’Europe, la question ne se pose pas pour les meilleurs, et Mathilde et Caporal en sont un brillant exemple. Mais la question se pose le plus souvent, la décision du juge est bien difficile et parfois deux couples aux qualités et aux défauts opposés se retrouvent à égalité…

 

Et là se pose une question encore plus fondamentale, le juge influence-t-il la discipline ? Ma réponse est « sans aucun doute » ! Comme le jugement des épreuves « jeunes chevaux ».

 

C’est sur mon opinion personnelle que je terminerai … Les bons chevaux, nous les avons : Caporal de massa était un très bon cheval, mais pas exceptionnel. C’est par sa progression bien menée qu’il est devenu exceptionnel, avec les yeux de l’Europe entière rivés sur lui. (Une réflexion corollaire : de même dans les épreuves jeunes chevaux, nous voyons de nombreux 4 ans avec un bon potentiel, … qui s’amenuise au lieu de se développer au fil des années)                                                     

Personnellement, je privilégie donc incontestablement la qualité de l’équitation ce qui permettra de favoriser l’émergence d’une génération de bons cavaliers de dressage, capables de dresser et présenter. Les meilleurs que l’on a vus à Hartpury, on les imagine très bien dans quelques années briller au niveau du Grand Prix.

 

C’est donc un certain paradoxe (dans tous les pays, pas seulement en France) que ce soient les juges de niveau N2 (Candidats nationaux Élite) qui ont cette lourde responsabilité. Je n’aurais qu’un mot final : progressons dans notre jugement, à nous les plus expérimentés de partager nos connaissances, pour avoir des juges N2 ( et N3) aptes à relever ce défi !